Santé mentale: It’s Okay to not be Okay!
Par Eya Labidi
Manque d’intérêt, de concentration et de motivation, fatigue, tristesse, sommeil perturbé… le mal de vivre est devenu de plus en plus présent, ces dernières années. Qu’il s’agisse d’une déprime (état passager) ou d’une dépression (une maladie qui exige une prise en charge), cette manifestation qui est caractérisée par une sensation de détachement de son corps, son esprit et son environnement touche toutes les tranches d’âge et, dans les cas les plus graves, mène au suicide.
« La dépression est un trouble mental courant. On estime que 5 % des adultes en souffrent dans le monde. Elle se caractérise par une tristesse persistante et un manque d’intérêt ou de plaisir pour des activités auparavant enrichissantes ou agréables. Elle peut également se traduire par un manque de sommeil et d’appétit. La fatigue et les difficultés de concentration sont fréquentes. La dépression est l’une des principales causes ’de handicap dans le monde et contribue grandement à la charge mondiale de morbidité. Les effets de la dépression peuvent être durables ou récurrents et peuvent affecter considérablement la capacité d’une personne à fonctionner et à vivre une vie enrichissante. » OMS – La dépression
Toutefois, quand, autrefois, c’était quelque chose que l’on cachait et que l’on avait honte d’avouer, même aux proches, aujourd’hui, il est devenu fréquent de parler ouvertement de la dépression et de la santé mentale. Certains influenceurs, comme Lina Azzabi, partagent même leur mal de vivre avec leur communauté dans le but de sensibiliser et de normaliser ce phénomène.
Certains s’isolent jusqu’à ce que ça passe ou qu’ils sombrent encore plus et arrivent à un état dépressif à la frontière de la douleur physique qui nécessite une assistance médicale. Beaucoup s’aperçoivent rapidement de leur état et tentent de rechercher de l’aide auprès de leur entourage ou d’un professionnel. D’autres, font appel à des méthodes peu conventionnelles. Ils se réfugient dans la drogue ou dans des expériences extrêmes et intenses telles que s’engager dans une relation toxique qui, même dans la souffrance, leur procure des sensations et les font se sentir vivants.
La santé mentale: qu’est-ce que c’est ?
Le concept de santé mental résulte d’un état d’équilibre qui permet aux individus de se sentir bien. Une personne peut intervenir sur sa santé mentale en adoptant une vie saine: être en bonne santé, avoir une vie sociale et affective harmonieuse, avoir des activités intéressantes et bénéfiques… Toutefois, cet équilibre ne peut être atteint que si l’environnement (famille, amis, travail…) dans lequel elle se développe s’accorde à ses besoins et à ses envies.
« La santé mentale correspond à un état de bien-être mental qui nous permet d’affronter les sources de stress de la vie, de réaliser notre potentiel, de bien apprendre et de bien travailler, et de contribuer à la vie de la communauté. Elle fait partie intégrante de la santé et du bien-être, sur lesquels reposent nos capacités individuelles et collectives à prendre des décisions, à nouer des relations et à bâtir le monde dans lequel nous vivons. » OMS – Santé mentale : renforcer notre action
Ces dernières années, la santé mentale est l’un des plus importants sujets de discussions dans le monde. Ceci dit, c’est un concept qui demeure nouveau pour beaucoup de personnes et répand une certaine confusion. La notion de santé mentale varie d’une personne à une autre et inclut plusieurs facteurs parmi lesquels: la santé, l’environnement de travail, l’entourage, les traumatismes, l’orientation sexuelle…
Quand elle fait face à des difficultés, la santé mentale peut causer des troubles mentaux. Cela peut toucher n’importe qui et nécessite, dans ce cas, une prise en charge médicale. Il est donc tout à fait normal de se sentir mal lorsque l’on passe par une mauvaise période.
Hausse des troubles mentaux en Tunisie: pourquoi?
Depuis 2011, la Tunisie vit des chamboulements sociaux, économiques et politiques qui malheureusement ne font qu’empirer. Une gouvernance chaotique qui aboutit à chaque fois à une déception énorme, un système éducatif plus bas que terre, un système de santé exécrable, une économie qui décourage tout investissement et un peuple appauvri et affamé.
La crise sanitaire mondiale liée au COVID-19 n’a rien arrangé à la situation. Au contraire, elle a mis en évidence toutes les failles du système. Sans oublier les répercussions psychologiques causées par la mauvaise gestion, le manque de moyens, l’isolement, la violence, le chômage…
Certains ont fui le pays à la recherche d’une vie meilleure ailleurs. D’autres n’ont pas d’autres choix que de rester et de survivre. Mais, cette situation n’est pas toujours facile à assimiler et laisse, quelques fois, des séquelles psychologiques.
En effet, en 2020, la Tunisie a enregistré 235 cas de suicide déclarés : 174 hommes et 61 femmes. Lors des 7 premiers mois de 2022, on a dénombré 89 cas, selon l’Observatoire social du Forum tunisien pour les droits économiques et sociaux (Ftdes).
Entre la révolution et la pandémie, il existe toute une génération qui a grandi dans une instabilité politique, associée à une crise économique et sociale et intensifiée par une crise sanitaire. Tous ces bouleversements impactent considérablement la santé mentale tant bien des adultes que des jeunes.
Quand l’instabilité s’installe durablement dans le quotidien d’une population, l’équilibre est terrassé pour laisser place à l’anxiété et à la dépression.
Sur l’échelle mondiale, « au cours de la première année de la pandémie du COVID-19, la prévalence mondiale de l’anxiété et de la dépression a augmenté massivement, de 25 %« . OMS –
Les troubles dépressifs connus représentaient 4,7% chez la population tunisienne âgée de 15 ans et plus en 2016. D’après, l’OMS, la Tunisie était classée parmi les pays arabes où la prévalence de la dépression est élevée.
D’autre part, une enquête menée par le Ministère de la Santé et l’Institut National de la Santé a montré que la proportion des idées suicidaires chez la population ayant des troubles dépressifs était de 10,1%. Et le passage à l’acte a été enregistré chez 3,8%.
Selon une autre étude réalisée par Multiple Indicator Cluster Survey (MICS6) datée de 2018, presque 20% des jeunes tunisiens de 15 à 17 ans souffrent d’anxiété et environ 5 % de dépression.
Une autre enquête nationale réalisée par MedSPAD III, publiée en janvier 2023 démontre une hausse préoccupante des jeunes âgés entre 16 ans et 18 ans qui consomment de l’alcool et de la drogue dans le milieu scolaire.
« Les statistiques montrent que les femmes développent deux fois plus de dépressions que les hommes et que leur trouble débute à un âge plus jeune que celui des hommes. » et que « Ces deux dernières décennies, nous assistons à une augmentation évidente de la prévalence de la dépression chez les jeunes et chez les adolescents. » – DR. Badii Amamou – Allopsy
Après toutes ces épreuves et ces difficultés par lesquelles est passé la Tunisie et le monde, c’est normal de ne pas se sentir bien. Tout ce qui était impossible et improbable est devenu ordinaire et habituel. Tout ce que l’on pensait acquis est devenu incertain. On a l’impression de vivre un éternel combat pour préserver des notions que l’on pensait déjà conquises: droits des femmes, liberté d’expression, tolérance…
Se lever tous les jours pour entamer une nouvelle bataille n’est pas toujours facile à gérer, en plus de tous les autres engagements de la vie (études, boulot, famille…). Il est donc normal de ne pas se sentir bien, certains jours.
Santé mentale: L’impact des réseaux sociaux
Les réseaux sociaux défient toutes les frontières. Ils permettent aux utilisateurs de voyager, de s’évader, d’apprendre et d’accéder à l’information. Ils permettent également aux gens de rester en contact et de faire de nouvelles rencontres. Les plateformes sociales représentent un atout important.
Aujourd’hui, les réseaux sociaux tiennent une part importante de notre comportement social. Facebook, Instagram ou TikTok, dans son lit le soir, pendant la pause ou quand on glande à rien faire, on trouve du plaisir à scroller, à commenter, à chater et à regarder les stories d’influenceurs. Selon We are social et Hootsuite, on a recensé, en 2022, plus de 4,6 milliards d’utilisateurs actifs sur les réseaux sociaux. Ils représentent ainsi 58,4% de la population mondiale. D’après la même source, les jeunes, âgés de 13 à 29 ans, représentent 45% des utilisateurs des réseaux sociaux.
Cependant, les plateformes sociales manquent d’encadrement et tous les excès que l’on y trouve peuvent influencer la santé mentale d’une personne, surtout si elle est fragile et vulnérable.
D’un coté, on trouve des peaux parfaites, des silhouettes parfaites, des couples parfaits, des enfants parfaits, des voyages par-ci, du shopping par-là, des soirées… Bref, la vie parfaite dont on rêve et que l’on pourra jamais avoir. D’une autre part, le web est rempli de brutalité. Harcèlement, addiction, agression, intimidation et discrimination, derrière un écran, plusieurs personnes se permettent d’enfreindre les codes de la morale et la loi.
Ces extrémités ont un impact néfaste sur la santé mentale de nombreux internautes, surtout les plus vulnérables. Selon une étude britannique de la Royal Society for Public Health (RSPH), réalisée en 2017, l’insomnie et les troubles mentaux comme la dépression et l’anxiété pour les jeunes âgés entre 14 et 24 ans ont augmenté d’environ 70% au cours des derniers 25 ans.
En gros, les médias sociaux peuvent être à l’origine de souffrances importantes chez certaines personnes.
Il arrive, des fois, que l’on se sente dépassé et pas à la hauteur, que l’on se compare aux autres, que l’on est la cible d’un harceleur ou quand on n’est pas satisfait de ce que l’on a, on a tendance à se remettre en question. Dans ces moments de doute, c’est okay et tout a fait normal que l’on ne se sente pas bien.
Comment prendre soin de sa santé mentale?
La santé mentale est autant importante que la santé physique. Il primordial d’en prendre grand soin puisque c’est le moteur de votre vie. C’est grâce à ça que l’on peut se développer, aussi bien dans les relations sociale et la vie professionnelle que sur le plan physique et émotionnel.
C’est okay de ne pas se sentir okay. Toutefois, il faut remédier à la situation et prendre soin de sa santé mentale. Pour ça, il suffit d’adopter certaines habitudes:
- S’accorder du temps : Prendre du temps pour soi afin de faire des activités que l’on aime (cinéma, théâtre, sport…) est important pour préserver son équilibre. L’équilibre est la base pour préserver sa santé mentale.
- Oser en parler : S’exprimer et se confier fait partie du processus pour se sentir mieux. Vous pouvez en parler à une personne de confiance de votre entourage ou faire appel à un psychologue ou à un psychiatre.
- Bien s’entourer : Avoir des personne que l’on apprécie et qui nous font du bien est nécessaire pour préserver sa santé mentale. Les personnes toxiques, même si ce sont des membres de la famille ne font qu’aggraver les choses. Evitez-les. Gardez des relations strictement professionnelles avec les personnes toxiques au travail. Si la pression est insupportable, partez !
- Eviter les comparaisons: On ne le répètera jamais assez, les réseaux sociaux ne reflètent pas toujours la réalité. On nous montre très souvent une version idéalisée de la vie. Tout est relatif. Soyez heureux et reconnaissant des bonnes choses que vous avez, aussi banales soient-elles (une bonne santé, des parents aimants, des enfants, un excellent travail…).
- Se montrer prudent vis-à-vis de l’information: Le web est une source d’informations incroyablement riche. Toutefois, ces informations ne sont pas toujours de qualité.
- Respecter et contrôler ses limites : Chaque personne a le pouvoir de contrôler son environnement, dans la vraie vie ou sur la toile. Rendez-le donc bienveillant pour vous. Evitez de côtoyer ou de suivre des comptes qui vous font vous sentir mal dans votre peau. Préférez plutôt les personnes ceux qui vous font du bien.
- Conserver un équilibre : Restreignez vos moments passés sur les réseaux sociaux, accordez-vous du temps pour une activité physique et des moments de bien-être et de loisir, sortez avec vos amis, passez du temps avec votre famille…
- Consulter: Normaliser le fait de ne pas aller bien. Normaliser le fait de consulter un professionnel. Et normaliser le fait qu’on ait besoin d’aide.
Responsabilité de l’Etat:
- Informer, former et favoriser le rétablissement: Le but est d’informer et de sensibiliser le public sur l’importance de la santé mentale, d’améliorer les compétences des professionnels et les comportements de la population vis-à-vis des personnes souffrantes de troubles mentaux.
- Fournir les soins adaptés: Il existe des plateformes de soutiens psychologiques en Tunisie telles que Ahkili ou Allo Psy. Ceci dit, l’Etat devrait s’investir un peu plus et créer plus de proximité avec les personnes qui n’ont pas forcément accès à internet et qui ne sont pas toujours averties.
- Améliorer les conditions: Afin de préserver la santé mentale de la population, l’Etat a la responsabilité d’agir sur les caractéristiques sociales, économiques et politiques, et d’instaurer une certaine stabilité.
- Renforcer les soins relatifs à la santé mentale: Il est important de mettre en place une prise en charge intégrale pour tous types de troubles mentaux.
- Instaurer des lois: Offrir à la population un environnement protégé et sain aide à restaurer leur souffrance psychologique. Instaurer des lois et surtout les appliquer participe à la préservation de la santé mentale.