Le jour où j’ai décidé d’avoir un 3ème enfant.

 

Par Samia Fradj

Comme beaucoup de femmes actives tunisiennes, j’ai fondé petit à petit et parfois difficilement ma petite famille.

J’avais peu d’aide familiale et un métier prenant, mais j’y suis arrivée.

A 30 ans, j’avais 2 beaux enfants, qui me prenaient tout mon temps. 22 mois séparaient mon fils de ma fille et comme beaucoup de mamans je courrais dans tous les sens.

A l’époque j’essayais de finir une thèse de doctorat et je travaillais dans 3 établissements différents. J’enchaînais les heures supplémentaires pour joindre les 2 bouts, et surtout pour offrir le meilleur à mes enfants.

J’avoue, qu’à l’époque, j’ai souvent été dépassée par les évènements, petit à petit, je n’avais plus aucune vie sociale, je croisais mes collègues au travail en me promettant toujours de sortir avec elles un de ces quatre. Malgré ma bonne volonté, ce n’était pas vraiment possible.

Les années ont passé, les péripéties de la vie ont fait que j’ai fait une croix sur ma thèse, moralement ça devenait trop pénible de supporter le poids de cette recherche qui n’avançait pas et me faisais culpabiliser pendant mes rares moments de repos. Car, pendant ces années de courses quotidiennes, mon mari n’était pas vraiment présent. Il travaillait dans la capitale, et faisait la navette tous les jours, il sortait à 5h du matin pour ne rentrer qu’en début de soirée. C’est vrai que le weekend il m’aidait, mais le plus dur c’était de gérer les enfants pendant la semaine, les conduire à la crèche, puis au jardin d’enfants, puis à l’école. Essayer d’adapter mes différents emplois du temps à ceux des établissements de mes enfants.

Quand mes enfants ont commencé à aller à l’école primaire, là c’est devenu vraiment stressant, les horaires étaient moins souples, je les récupérais le midi et les ramenais à 14h, à 16h30 on courrait avec les cartables jusqu’à la voiture, car je devais les déposer à la maison avant de retourner vite travailler. Parfois, je piquais des crises inexplicables car ils n’étaient pas sortis assez vite de leur classe.

A cette période, nous avions entamé le projet de construire une maison. Alors je gérais en plus les travaux, j’allais contrôler l’avancement le plus souvent possible, parfois j’allais acheter des sacs de ciment avec ma petite voiture ; des cartons de faïence, du marbre pour la vasque … Bien sûr la construction de la maison a aussi détruit notre budget, je devais travailler toujours plus, je cumulais aussi les cours particuliers le weekend. Ce qui me semble bizarre avec le recul, c’est que j’ai toujours adoré mon travail malgré ces horaires, malgré les corrections dans mon lit le soir. Mes amies me demandaient toujours comment je faisais, en fait avec le temps j’ai appris à être moins exigeante chez moi, moins maniaque, oui ça devenait vital. Après ces dix années de galère où ma vie sociale était pratiquement inexistante, où mon monde tournait autour de mes enfants de leurs devoirs, de leurs repas, de leurs loisirs, … j’ai pris un peu de recul. Ma maison était finie, mes enfants avaient grandi ils avaient maintenant 9 et 7 ans, mon mari avait été muté près de chez nous, mes enfants devenaient autonomes et chez moi j’avais une 4ème chambre. Une chambre prévue il y a longtemps pour mon 3ème enfant.

Mais après tout ça, après ces dures années de sacrifices quotidiens, peut-on imaginer vouloir tout reprendre à zéro ?

En fait petit à petit, j’ai commencé à y penser, à me dire qu’un jour je risquais de regretter de ne pas avoir eu de 3ème enfant. Je me disais que ça serait bien que ma fille ait une sœur (sans aucune garantie du sexe), et cette chambre vide … Je ne sais comment j’ai convaincu mon mari de sauter le pas. Mais entre le moment où on a décidé d’avoir un 3ème enfant et le jour où je suis tombée enceinte, plus de 8 mois se sont écoulés, j’avais pris de l’âge je pense que c’était moins facile.

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Et à partir du jour où je suis tombée enceinte, j’ai été prise de panique. Qu’avais-je fait ? Pourquoi tout reprendre à 0 ? Je commençais à peine à sortir la tête de l’eau. Et puis évidemment cette grossesse s’annonçait différente des autres. Autant pour les premiers, je n’avais presque pas eu de nausées, autant là j’en souffrais énormément, j’étais extrêmement fatiguée, je ne pouvais plus rien manger. J’en étais arrivée à devoir faire des injections pour moins souffrir. Pendant 2 mois ça a été l’horreur. En fait ça a duré, jusqu’au jour où j’ai appris que mon père était mourant. Ce jour-là, ma mère m’a appelée pour me dire de rentrer vite en France car mon père vivait ses derniers instants. On venait à peine d’apprendre qu’il avait un cancer des poumons, même pas 2 semaines plus tard, c’était fini. Je n’avais pas réalisé la gravité de la situation. Je pense que le choc de la nouvelle a bouleversé mon état. D’ailleurs sur le coup comme les nausées ont disparu subitement j’ai cru que mon bébé était mort. Cette période a été très dure, les 2 jours qui ont précédé le décès, le jour du décès, les jours suivants et le retour en Tunisie, notre arrivée à la maison, la réaction de toute la famille, le jour de l’enterrement… Tous ces instants m’ont marquées à jamais. Mais avec le recul, je sais que ma force, pendant ces moments, paradoxalement, je l’ai puisée dans ma grossesse. Mon bébé était comme une bouée de sauvetage, qui m’a protégé et me tirait vers le haut, quand ma sœur est tombée en dépression, quand toute ma famille a été dévastée par le décès de mon père. En fait ce bébé, c’était un cadeau du ciel, ce qui me sauvait, me soutenait et puis j’ai appris que c’était une fille. Elle m’a rendue sereine, j’ai tout affronté avec une force incroyable. Les contractions plusieurs jours avant l’accouchement, l’extrême fatigue physique, entre le début de la grossesse et la fin j’avais perdu 2 kilos. Ma gynéco était inquiète, c’est vrai que j’avais des réserves, mais c’est vrai aussi que ce n’est pas normal de maigrir quand on est enceinte. J’ai supporté aussi un accouchement de 8h où la péridurale ne fonctionnait plus à la fin. Ma fille pesait 3k600, J’avais déjà vécu deux accouchements, mais c’est le seul où je réalisais vraiment la magie de l’instant, la valeur de la vie, l’incroyable aventure. J’étais plus mature, j’étais plus expérimentée, dès que son regard a croisé le mien j’ai ressenti un sentiment unique au monde. Quelque chose que je n’avais pas vécu pour mes premiers enfants, comme si à l’époque je ne réalisais pas l’incroyable chance de mettre un enfant au monde. Puis les choses se sont vite enchaînées, je me suis rétablie très rapidement, le soir même j’étais sur pied, en rentrant chez moi j’ai même préparé un gâteau pour l’anniversaire de mon mari. Je ne suis pratiquement pas restée au lit. J’ai réussi aussi mon allaitement ce qui n’avait pas été le cas pour mes aînés, j’étais tellement calme et paisible. J’avais de l’expérience, je savais comment tout gérer, c’était facile. Les nuits blanches, les coliques, rien ne me dérangeait, j’étais complètement gaga de ma fille. Son papa l’était encore plus. Les aînés avaient grandi, il n’était plus question de jalousie. Au contraire, ils ont tout de suite accepté leur petite sœur et m’aidaient du mieux qu’ils pouvaient.

Ma fille a maintenant 2 ans, je suis en train d’organiser son anniversaire. Je réalise à quel point le temps passe vite. C’est un bébé adorable, facile à vivre et naturellement sa sœur est devenue plus proche d’elle, elle la garde avec plaisir, lui prend son bain, lui lit des histoires…

Je suis tellement heureuse d’avoir sauté le pas. Elle a donné un nouveau souffle à ma famille et à ma vie.

Physiquement en plus elle est différente de son frère et de sa sœur, elle ressemble beaucoup à ma maman. Comme un autre signe de la magie de l’existence.  En même temps, cette année ma relation avec ma plus grande fille devient plus agréable, à dix ans on partage beaucoup de choses, elle est plus mature que les filles de son âge, elle a été confrontée plus tôt à certaines responsabilités et je me dis que dans dix ans, Inchalah, j’aurais encore la chance de vivre ces instants avec ma 2ème fille, qui aura la chance d’avoir une grande sœur pour la guider dans son adolescence. A presque 40 ans, je peux dire fièrement que j’affronte l’avenir avec un nouveau regard.

 

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