Je ne serai pas ma mère.
Ma fille avait 6 ans. On était en train de leur apprendre à lire et à écrire, à l’école. Le soir, je lui faisais réviser ce qu’elle avait appris. Elle n’arrêtait pas de buter contre la lettre K. J’avais beau le lui répéter, chaque fois qu’on arrivait au K, elle me regardait avec de la panique dans ses yeux. J’étais de plus en plus frustrée et cela se sentait dans ma voix . Ma petite puce a levé ses yeux vers moi et m’a dit « Je suis stupide, maman. »
Mon cœur s’est brisé en mille morceaux. Et soudain, je me suis revue, moi au même âge, avec ma mère. Je l’ai vue me crier dessus parce que ma camarade de classe qui était la fille de sa collègue avait été mieux notée que moi en calcul. Etre la deuxième était inacceptable. Sa fille devait être la meilleure partout, pour qu’elle puisse se sentir supérieure aux autres à travers moi. Je me suis rappelée de la peur que j’avais en ramenant les notes à la maison, de mes maux de ventre, des larmes que je ravalais parce que si je pleurais, j’étais une faible.
J’ai décidé à cette minute là, face au regard angoissé de ma fille que je ne serais jamais ma mère. J’ai pris ma fille dans mes bras et je lui ai demandé pardon d’avoir perdu patience. Je lui ai dit qu’elle était brillante et qu’il fallait qu’elle aille à son rythme, que si elle n’arrivait pas à retenir le K aujourd’hui, et demain et le jour d’après, ça n’avait aucune importance, parce qu’un jour, elle le reconnaîtrait sans faute. Je lui ai dit qu’elle était une enfant et que les enfants ont énormément de choses à apprendre et que c’est naturel de s’emmêler un peu les pinceaux mais qu’à la fin, tout se mettait en place. Je lui ai aussi dit qu’elle n’était en compétition avec personne et qu’elle ne devait pas juger ses résultats par rapport à ceux des autres. Elle a entouré mon cou avec ses petits bras et a soufflé « merci » dans mon oreille.
Depuis ce jour là, je ne me suis plus jamais énervée pour les devoirs, ou pour des vêtements tâchés, ou pour un bibelot cassé. Elle est tellement plus importante que ça. Et je l’aime infiniment plus que des devoirs ou un bibelot.
Aujourd’hui, c’est une jeune fille épanouie qui réussit magnifiquement ses études et surtout, elle et moi avons un rapport que je n’aurai jamais avec ma mère, de l’amour, de la complicité, des rires, quelque chose d’incroyablement précieux qui aurait pu être perdu à cause d’une seule lettre.
Heureusement, je ne suis pas ma mère.