tu m’as oubliée, alors je me souviens pour deux

Par Mouna Amri

Tic-tac, je ne sais même plus depuis combien de jours j’attends, un mot, un rien. J’espère encore que tout est vrai, j’espère encore que tu ne m’aurais pas menti autant.

Tic-tac, Paris s’accroche, toutes les nuits, Paris approche. Te rappelles-tu? Tes mégots, ton verre, tes bouteilles vides, les restes du repas, ça sentait le pain, l’aneth et toi. Ta tête qui penchait, tes mains, tes yeux. Je sombrais dans ta démence, dans ta toile, je savais déjà comment finirait la nuit. J’ai senti tes lèvres bien avant qu’elles ne se posent, papillons électrisants. Je le savais, que la folie gagnait, que ma raison volait, colombes en papier.

Paris s’accroche, tes mots, tes promesses, ta fièvre contagieuse, tu me possédais pouce par pouce, tu poussais l’audace, je laissais faire ton cran. Te rappelles-tu? J’ai gardé le silence, savourant tes mots, tes mains, ton goût, donnant tout et si peu, traçant sur ton visage les mots que je ne disais pas. Je préservais l’éclat. Je préparais le plan, la fuite, l’abandon. Je pensais que tes bras étaient mon port, que cette nuit était l’horizon.

Paris s’accroche et toi tu oublies, les bouteilles ont crevé depuis et les mégots jetés, d’autres nuits ont assombri les murs, d’autres matins ont éclairé ces nuits. Et des alcools ont dû effacer mon goût, et des filles ont remplacé mon souvenir, d’autres lèvres t’ont murmurés des mots, d’autres mémoires ont provoqué l’oubli. Moi, je me rappelle, de tout. Pas de souvenir heureux, tout fait mal, tout brûle, je ne sais plus combien de fois, je me suis promise plus jamais. Et j’ai besoin de si peu des fois, j’ai rétréci la liste de mes récriminations, des mots à dire et à entendre, même un point arrêterait mon cœur, altérerait mes pas.

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Paris s’accroche, Paris est toi, elle se rétrécit à ton espace, à ton temps, un appart’ et deux nuits. J’ai traversé La ville comme un écho d’un silence, m’excusant de revenir vers les lieux du crime ou du miracle qui n’est plus. J’ai parcouru nos rues, revu nos maisons, espéré te voir et le redoutant tellement… Curieux qu’une mégapole se réduise à ta peau, à ton nom, qu’elle ne se révèle que par ce que tu as foulé. Tout Paris, celle d’avant nous, celle d’après, se soumet à ton ère. Le plus terrifiant n’est pas que tu t’étendes à l’infini mais que tu deviennes une origine, une singularité insurmontable.

Combien t’en faudrait-il pour que tu sombres aussi? Peut-être jamais assez, tu ne sombres pas, tu vas avec la vague, une nuit sur mes rivages et l’autre ailleurs là où la marée s’écrase. Je me rappelle, tu oublies si bien, alors je me souviens pour deux, laisse-moi te dire encore combien c’était doux et fou et désespéré, une pluie inattendue. Laisse-moi te rappeler la carte de tes vagabondages sur la chair et le cœur, t’écrire ton scénario improvisé, tes mots qui ponctuent, qui tuent, qui remplacent parfois tes mains, des caresses en virgules et en lettres. Je t’aime si tu savais, le temps, le temps…ne t’efface pas, ne semble pas vouloir t’emmener un peu loin, assez pour mon répit, tes marées te tarabustent mais la mienne est ancrée. J’ai traversé Paris comme un fantôme, et le temps ne desserre pas sa prise, je suis sa victime, je suis sa proie. J’aurais voulu couler comme une ombre jusqu’aux murs de ta maison, dessiner de mes mains des ombres chinoises d’abandon et d’envie, de regrets aussi.

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