Mon histoire d’amour à 3, moi, mon mari et la dépression
Par Sahar M.
J’ai toujours eu des problèmes de dépression même si ça n’a pas été diagnostiqué très tôt. A l’adolescence, je me scarifiais, je me faisais des entailles sur le corps. La douleur localisée me faisait oublier la douleur sourde qui était partout dans ma vie. ça me faisait mal de vivre. Je voulais que ça s’arrête. Je pensais souvent à mettre fin à mes jours. La seule chose qui m’arrêtait, c’était la peine que ça aurait fait à ma mère.
Puis j’ai eu mon bac, j’ai été à la fac et j’ai rencontré celui qui allait devenir mon mari. Cela a en quelque sorte mis ma dépression en veilleuse. J’avais encore des épisodes de désespoir absolu mais il était là et me ramassait à la petite cuillère. La tristesse était toujours la trame de fond de ma vie et devenait parfois insoutenable et à 25 ans j’ai avalé une tonne de cachets pour qu’elle s’arrête. Mon mari m’a trouvée inconsciente. Urgences, lavage d’estomac puis le psy direct. Je me suis laissée faire. Je voyais sa panique. J’étais désolée pour lui mais il ne pouvait rien pour moi.
Anti-dépresseurs, rendez-vous hebdomadaires chez le psy, je faisais ce qu’on me disait. Parfois, j’allais un peu mieux mais le trou noir finissait toujours par m’aspirer à nouveau. Il y avait des jours, où je ne quittais pas mon lit, où je n’avais envie de rien, envie de voir personne, parler à personne.
Anis était incroyablement patient. Alors, pour lui faire plaisir, il m’arrivait de faire semblant d’aller mieux. L’envie de mourir était toujours là. Puis je me suis mise à ne plus supporter notre appartement. Je le détestais. Je le trouvais moche, étouffant. Là encore Anis a été d’une grande patience et il a bien voulu qu’on déménage. Le déménagement a fait remonter encore plus d’angoisses mais bien sûr, je ne pouvais pas le lui dire, après tout il l’avait fait pour moi.
J’ai aussi détesté le nouvel appartement. J’ai dit à Anis que je ne voulais plus vivre en Tunisie, que je voulais changer de vie, aller de l’autre côté du monde, recommencer quelque chose de totalement différent. Il m’a regardée pendant quelques minutes en silence et je voyais sa frustration, son découragement. Je me détestais de lui faire ça, d’être cette espèce de gamine capricieuse qui n’est jamais satisfaite mais je n’y pouvais rien. C’était plus fort que moi.
« Je ne vais aller nulle part. Chez nous, c’est ici. J’ai mon travail, mes amis, il y a nos familles. Je ne veux pas vivre ailleurs. Je fais tout ce que je peux pour te rendre la vie plus facile mais ça, je ne peux pas, je suis désolé. »
Rationnellement, je savais qu’il avait raison mais mes émotions, c’était autre chose. J’ai pleuré. Je lui ai dit qu’il ne m’aimait pas et que s’il m’aimait vraiment, il se rendrait compte que c’était la seule manière pour moi de m’en sortir, que vivre ici était en train de me tuer et qu’un jour, je franchirais le pas. J’ai vu la panique dans ses yeux et l’impuissance aussi. Je me suis rendue compte que j’avais franchi une ligne rouge. Je lui faisais du chantage.
« Je sais que tu souffres. Je comprends et je vois que les choses sont en train d’empirer et que je ne peux pas t’aider. Porter cette responsabilité tout seul commence à me faire peur. Je voudrais que tu te fasses hospitaliser. La thérapie n’a pas l’air de fonctionner. »
Il jetait l’éponge. J’ai eu l’impression que le sol disparaissait sous mes pieds. J’avais poussé le bouchon trop loin. Il m’abandonnait. Mes yeux débordaient de larmes. Je l’ai supplié de rester avec moi, de ne pas me laisser. Il a été surpris:
« Te laisser? je ne te laisserai jamais. Je t’aime mais je ne peux plus gérer ça tout seul. Il faut l’aide de professionnels. Je déteste ce que cette maladie te fait. Je veux que tu sois bien. Je veux que tu arrives à être heureuse. »
Je lui ai sauté au cou. Je n’arrivais pas à arrêter de pleurer. Je ne me suis pas fait hospitaliser parce que ça me terrifiait mais on a changé de psy et de traitement. Et je commence à me sentir mieux. Je passe moins de temps à dormir et je ne suis plus tout le temps cachée au fond de mon lit. Je sais que la dépression ne s’en ira jamais et qu’elle fera toujours partie de moi et de notre histoire mais elle devient plus gérable.
Et surtout, je serai éternellement reconnaissante à cet homme qui n’a jamais cessé de me soutenir, qui ne s’est jamais découragé et qui a continué à m’aimer même quand moi je ne me supportais plus.
Anis, je t’aime. Merci d’exister.
Binetna est un site féminin collaboratif