Il y a des phrases qui paraissent innocentes dites comme ça, mais qui pourraient déclencher des guerres nucléaires. Celle-ci, par exemple :
- Chérie, franchement, ta voiture… c’est une vraie poubelle.
- Oui, c’est vrai, elle est un peu sale.
- Un peu sale ? il y a des bouteilles d’eau vides, des papiers partout, un doudou décapité… Tu pourrais quand même la faire nettoyer, non ?
- Je n’ai vraiment pas le temps.
- Pas le temps ? Mais tu fais quoi de tes journées ?
Erreur fatale. L’homme ne le sait pas encore, mais il vient d’ouvrir la porte d’un enfer pavé de post-it, de rendez-vous médicaux, et de lessives jamais pliées.
- Très bien, dit-elle d’un ton d’une douceur glaçante. On échange nos journées demain. Toi, tu prends ma vie. Moi, je prends la tienne.
Il accepte bien sûr, confiant, un peu naïf, persuadé qu’elle exagère le poids de ses tâches (comme toujours).
Spoiler Alert : il va regretter. Amèrement.
Jour 1 : la chute du héros
Il est 6 h 30. Les enfants hurlent. Il cherche des chaussettes (disparues dans une autre dimension). Il prépare le petit-déj, découvre qu’il n’y a plus de lait, tente une improvisation au yaourt, échec critique. La plus petite pleure, le grand boude, et lui, il a déjà envie de s’enfuir.
Il est 9:00. Il arrive en retard au boulot, déjà lessivé. Mail du prof de danse : « N’oubliez pas le costume pour demain ». Mail du pédiatre : « Rendez-vous à confirmer ». Mail de la cantine : « Dernier rappel avant suspension du compte ».
Son cerveau bugge. Il a envie de taper sur quelque chose. Il commence à comprendre pourquoi sa femme a toujours cette lueur vide dans les yeux quand il lui demande pourquoi elle est tout le temps fatiguée.
Il est 11h30. Il reçoit un SMS : « On n’a plus de papier toilette ». Il ajoute « faire les courses » à sa to-do list, qui fait maintenant la taille de l’autoroute Tunis-Hammamet. Il rêve de son bureau, de sa machine à café, de ses collègues qui parlent d’Excel sans hurler.
Il est 15h00. Appel de l’école : « Votre fils a oublié son livre. Il faut absolument qu’il l’ait pour le travail d’aujourd’hui ». Il va à la maison, récupère le livre, l’emmène à l’école et repart au boulot où une tonne de dossiers et un chef passablement énervé l’attendent.
19h00. Il rentre. Enfin ! Il croit que c’est fini, mais que nenni. Il reste encore le dîner, les devoirs, le bain, le linge à laver et à étendre, l’anniversaire de belle-maman à ne pas oublier.
Il est officiellement en PLS (position latérale de sécurité dans laquelle mettre une personne inconsciente).
Pendant ce temps, madame…
Elle a vécu sa journée à lui : Café tranquille, petite réunion, déjeuner avec des collègues adultes (des gens qui ne renversent pas leur jus sur la table, c’est exotique), un peu de stress professionnel, mais le bon genre, celui qui flatte l’égo. Et le soir ? Un bon film, dîner prêt et paix intérieure.
Elle respire la sérénité. Lui a les cheveux ébouriffés, l’œil vide et la voix tremblante.
Toujours avec la même douceur impitoyable, elle demande :
- Alors ? Toujours envie de parler de ma voiture ?
- Qu’est-ce qu’elle a ta voiture ? Elle est très bien, ta voiture
Morale de l’histoire : Derrière chaque voiture « dégueulasse », il y a une femme qui fait tourner le monde, des rendez-vous, des repas, des lessives, des émotions, des anniversaires et une liste mentale longue comme un roman russe.
Alors, messieurs, la prochaine fois que vous voyez un doudou éventré traîner sur le siège arrière entre des kleenex usagés et une cannette vide, remerciez-la.
Elle n’a peut-être pas le temps de laver sa voiture, mais c’est elle qui fait tourner la vôtre.