Tu es tranquillement en train de scroller sur tes réseaux sociaux, un moment banal, presque automatique. Et puis, sans prévenir, un message surgit : une insulte, puis une autre.

Tu n’as rien demandé, rien provoqué, mais quelqu’un entre dans ton espace numérique comme on enfonce une porte. Tu en parles autour de toi, et on te répond que “c’est normal”, “c’est la vie”, “c’est Internet”.

Non, ce n’est pas normal. Et c’est même le quotidien de beaucoup de femmes.

À Binetna aussi, nous subissons cette haine en ligne, souvent exercée par des hommes, et nous savons à quel point elle est violente, répétitive et épuisante. Et pourtant, elle reste trop souvent minimisée ou justifiée.
Entre 80 et 89 % des Tunisiennes ont déjà subi de la cyberviolence, dont 89 % sur Facebook, selon le CREDIF.

La violence contre les femmes ne s’arrête plus à la rue ou au foyer : elle se prolonge désormais derrière un écran.

C’est pour répondre à ce constat qu’ONU Femmes Tunisie, en partenariat avec l’Ambassade de Suède, a organisé le 10 décembre 2025 la conférence nationale “De l’espace réel à l’espace numérique – Unies contre la violence, pour l’autonomisation des femmes et des filles”, dans le cadre des 16 Jours d’Activisme.

Comprendre l’ampleur du phénomène

Les chiffres résonnent comme une alerte nationale :

  • 54 % des femmes se sentent en insécurité en ligne ;
  • 22 % suppriment leurs comptes après un abus ;
  • 12 % déclarent avoir eu des pensées suicidaires suite à du harcèlement numérique ;
  • 95 % des femmes subissent la stigmatisation post-agression, contre moins de 30 % des hommes.

Les raisons sont connues : absence de preuves, peur de représailles, méconnaissance du caractère illégal de la violence, manque de confiance dans le système judiciaire.
Cette accumulation de barrières crée un terrain où la violence prospère, et où les victimes s’isolent.

La voix d’ONU Femmes : S.E. Nyaradzayi Gumbonzavanda

Invitée d’honneur, S.E. Nyaradzayi Gumbonzavanda, directrice exécutive adjointe d’ONU Femmes, a rappelé que la Tunisie a “souvent été pionnière” dans la région en matière de droits des femmes, mais que les violences en ligne imposent de nouveaux défis.

Elle a insisté :


La violence en ligne restreint la liberté d’expression et la participation des femmes à la vie économique et sociale. Les femmes et les filles doivent pouvoir se sentir en sécurité, dans la rue comme sur Internet.

Lors d’un échange en aparté, elle a ajouté un point essentiel :


La dignité et le respect sont des valeurs fondamentales. Le problème ne vient pas des religions, mais de leur interprétation sociale, parfois détournée au détriment des femmes.

Elle a également souligné que la Tunisie demeure une source d’inspiration :


Vous êtes souvent le premier pays à avancer dans la région. Cela inspire.

Violence économique : un angle souvent oublié

Les discussions ont mis en lumière une réalité encore peu visible : la violence économique.
Comme l’a rappelé à Mme Nadya Touzri, coordinatrice du programme JRPWEE, projet conjoint visant à renforcer l’autonomie économique des femmes rurales, les femmes rurales rencontrent plus de difficultés à accéder au microcrédit, car un garant masculin leur est souvent exigé. Une discrimination silencieuse, mais aux conséquences lourdes.

La violence numérique a, elle aussi, un coût économique : blocage professionnel, autocensure, perte d’opportunités, retrait des réseaux, isolement.

Quand l’entreprise devient un levier d’autonomisation

L’exemple d’Oriflame a été largement salué. L’entreprise mise sur le travail à distance, flexible, au rythme de chaque femme : un modèle adapté aux réalités familiales tunisiennes.

S.E. Nyaradzayi Gumbonzavanda a soutenu cette approche :


 Nous encourageons toutes les formes de flexibilité qui permettent aux femmes de s’intégrer pleinement dans le marché du travail. ONU Femmes applique déjà cette approche, et nous recommandons qu’elle soit adoptée plus largement. 

Exploiter les talents féminins : une urgence tunisienne

Flornce Basty, représentante d’ONU Femmes en Tunisie et Libye, a rappelé un paradoxe criant :


Le problème n’est pas l’éducation des filles, mais l’accès au marché du travail. Les talents existent, mais ils ne sont pas utilisés.

Elle a aussi alerté sur un chiffre préoccupant :


70 % des jeunes de 18 à 37 ans souhaitent quitter le pays.

Une initiative encourageante a été mise en avant : un job fair pour diplômées, organisé en juillet avec transport et hébergement pris en charge, qui a permis à 40 % des participantes de décrocher un emploi ou une promesse d’embauche.

Leadership féminin : flexibilité et sororité

Les intervenantes ont insisté sur l’importance :

  • Du télétravail,
  • De l’adaptation des horaires,
  • Du mentorat,
  • De la sororité professionnelle.

Comme cela a été souligné « Le leadership féminin doit intégrer la solidarité entre femmes.»

Le modèle suédois comme inspiration

S.E Nicola Classe, représentante permanente de la suède auprès des nations unies, a présenté un modèle suédois fondé sur :

  • Un congé parental égalitaire,
  • Un partage des tâches domestiques,
  • Des lois strictes sur le consentement et les violences,
  • La prévention active,
  • Et la promotion des femmes aux postes de décision.

Cette expérience fera l’objet d’un article à part, car elle offre des pistes concrètes pour la Tunisie.

Protéger les femmes, partout!

L’événement a rappelé une idée forte : 

La lutte contre la violence doit se faire partout, dans la rue, à la maison, au travail et en ligne.

Et que seule l’alliance entre institutions, société civile, entreprises et citoyen·nes permettra de réellement protéger et autonomiser les femmes et les filles.

Binetna est un magazine feminin tunisien

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